Dossier
"vendanges 2006 - chapitre des liquoreux"
Produisant en altitude des
liquoreux à très forte personnalité, Sainte-Croix-Du-Mont affiche un caractère
inimitable qu'elle doit à sa géologie exceptionnelle, signant des vins uniques.
Alain Fertal a le privilège...
d’extraire de cette terre aux origines marines, un or pur – issu tantôt de la botrytisation, tantôt du passerillage - qu’il met avec fierté en bouteille.
1994 marque le début de l’aventure quand il rachète avec sa femme Viviane, les 11 hectares du château Pavillon, une magnifique chartreuse bordelaise du XVIIIème. Domaine viticole en double AOC Sainte-Croix-Du-Mont et Loupiac, situé à 44 kilomètres au sud de Bordeaux sur la Rive Droite de la Garonne, Pavillon est esthétiquement une propriété dont les charmes fous n'ont pas pour autant aveuglé la sagacité d'Alain Fertal.
Un goût du risque, un pari entre soi et ce que la nature
veut bien vous concéder.
Mettre de l’or en bouteille n’est pas chose aisée si la nature a décidé de vous « mettre des bâtons dans les roues ». On l’aura compris, être vigneron à Sainte-Croix-Du-Mont (comme dans les autres appellations liquoreuses de France), c’est être tributaire du temps et du savant équilibre entre brouillard matinal et après-midi ensoleillé. Autant dire, une recette qui ne marche pas tous les ans tellement ces conditions peuvent être aléatoires. Au royaume du botrytis, on est sur la planète des caprices des dieux du vent, de la pluie et du soleil. Pas facile de gérer un caprice. Le botrytis, conditionné par la météo, est aussi volatile que la bourse et ses valeurs technologiques; traduction : instable comme le CAC 40. Pourtant, Alain Fertal a choisi de défier – paradoxalement non sans humilité – ce type de production mettant souvent à rude épreuve les nerfs des vignerons de l’appellation. C’est le goût du risque qui est le moteur de cette passion pour l’appellation. Mais au final, le jeu en vaut bien la chandelle. Pour les meilleurs flacons, on caresse l’espoir de moments gastronomiques inoubliables. Et le consommateur averti, sorti du carcan des étiquettes et du syndrome du « buveur d’étiquette » ne s’y trompe pas.
Le défit d’être vigneron à Sainte-Croix-Du-Mont.
Mais malgré tout, chose étonnante de s’installer sur une
appellation d’ordinaire moins plébiscitée, voire parfois injustement boudée des
médias, quand d’autres propriétaires terriens se laisseraient clairement tenter
par plus de facilités. Celles offertes par exemple par le vignoble d’en face
sur la Rive Gauche Liquoreuse : Sauternes, Barsac. Sainte-Croix-Du-Mont a
souvent été accusée de manque de dynamisme et de régularité qualitative dans
ses vins ou d’abus dans le recours à la chaptalisation ; Mais le choix
d’Alain Fertal est un choix déterminé et amplement réfléchi. Une décision qui
colle bien avec le dynamisme et le caractère de l’homme. Car Alain ne triche
pas et affiche un réel engagement, une sincérité vis-à-vis de cette terre,
franchise racontée par ses vins nourris à la passion et la fidélité. Il fut
longtemps porte-parole officiel de l’appellation et Vice-Président du Syndicat
d’appellation.
Quoiqu’il en soit, refaire sa vie professionnelle, lâcher un métier confortable pour endosser un métier à risque - qui plus est, moins confortable en ces périodes mouvementées de la filière vin - participe soit de la gageure, soit de l’inconscience. En fait, c’est avec discernement que le pas a été franchi car c’est le défit qui attire Alain Fertal. A Sainte-Croix-Du-Mont, tout reste à faire, à écrire et c’est ça qui est passionnant : de la qualité à tout prix, la communication, la promotion, la valorisation du terroir et des savoirs-faire par l’oenotourisme…
Une communication et des actions plus individuelles. En
finir avec un collectif qui tatillonne.
Cette appellation, n’en doutons pas, possède un fort
potentiel, une authenticité et un goût signé marqués par sa géologie d’origine
lacustre qu’aucune autre appellation ne peut usurper. Encore faut-il le faire
savoir, et bien le communiquer.
L’ennui, c’est le collectif dont l’action a souvent été désaccordée, la soixantaine de viticulteurs de l’appellation n’étant pas assez à l’unisson, baissant vite les bras face à quelques fatalités. D’où des actions plus isolées de certains mais plus fructueuses aussi. Le succès des uns – environ 8 propriétés sur la soixantaine recensée – contraste avec le repli des autres. Cela remet au goût du jour l’état de méritocratie : le mérite comme échelle de valeur morale et qualitative. On finit toujours par être récompensé de ses efforts et de sa compétence. Autre point fâcheux, le manque notoire de moyens financiers. La richesse de Sainte-Croix-Du-Mont, à défaut de peut-être l’avoir dans ses caisses, la possède (comme déjà indiqué) dans ses sols.
Elle qui regorge pourtant d’atouts visibles, s’exprimant
jusque dans le verre.
Mais c’est sans compter sa fameuse butte, une vraie colline abrupte – de 1 mètre à 118 mètres (Pavillon est situé à environ 84 mètres) - qui retient le précieux brouillard à la fin de l’été et durant tout l’automne. Avec elle, bien que le travail de la vigne y soit – comme à Pavillon – plus compliqué de par la forte pente (comme à Banyuls, Collioure, Sancerre, ou dans le Valais en Suisse), c’est l’assurance pour la vigne d’avoir les pieds toujours au sec. Et ce, même en période de précipitations avant et pendant les vendanges. Pas de risque de dilution (du moins très peu) des baies dont la concentration est favorisée par le soleil et la botrytisation. Et un côté aérien, au sens propre du terme, propice à la fraîcheur aromatique des raisins blancs (Sémillon, Sauvignon, Muscadelle), une fraîcheur également permise par les sols acides, le calcaire ou les huîtres fossilisées. Le résultat est convaincant : des vins concentrés, amples avec une liqueur noble, des vins aériens – donc équilibrés – qui ne souffrent d’aucune lourdeur ; le sirupeux étant l’ennemi de l’élégance et de l’équilibre entre l’acidité, le sucre et l’alcool. Cette maîtrise, Alain Fertal l’exprime - tel un alchimiste et orfèvre des vins - jusque dans la cuvée « Frantz » (3000 bouteilles environ). Un vin issu d’une sélection très rigoureuse faite par plusieurs tries (passages) sur les pieds de vignes âgés de plus de 50 ans : un autre atout pour les maturités et les concentrations des baies. L’assemblage intelligent est le reflet fidèle des millésimes (uniquement dans les grandes années) jugés les plus exceptionnels.
Finalement, en choisissant de s’installer sur l’appellation Sainte-Croix-Du-Mont (limitrophe d’une autre appellation liquoreuse connue, Loupiac), le couple Fertal allait trouver en ces lieux une raison de se battre : prouver que cette appellation – connue des anciens mais en fin de compte peu connue du grand public – pouvait faire des merveilles à condition de s’en donner les moyens. Des arguments de taille pour se différencier du reste des liquoreux du bordelais et jouer les troubles fêtes sur des marchés de niche. Des marchés que les plus talentueux peuvent conquérir avec dynamisme. Une attitude indispensable aujourd’hui pour faire face à l’évolution des mœurs en matière de consommation et de la restructuration des marchés. C’est le cas pour Pavillon qui, soyons clairs et objectifs, est l’une des valeurs sûres de cette appellation. Et c’est peu dire ! Pour ne pas dire l’une des quatre locomotives que compte le vignoble de Sainte-Croix-Du-Mont.
Pour en savoir plus:
Château du Pavillon, Château Les Roques
Crédits sujet:
Images/montage: Philippe SIMON
Interview audiovisuelle: Frédéric LOT
Article : F.L
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