Dossier " Spiritueux "
Calendrier oblige, le pays gascon est en pleine transe. Dans la fraîcheur et les odeurs hivernales de la campagne gersoise, les hommes font danser l’alambic d’un feu nourri par l’espérance: l’Armagnac nouveau…
Plus vieille eau-de-vie de France, soit 600 ans de légitimité - spiritueux aquitain produit sur 3 départements, le Gers, les Landes et le Lot-et-Garonne, autrement dit sur 3 zones de productions distinctes (le Bas-Armagnac, l’Armagnac-Ténarèze et le Haut-Armagnac) – la vieille Dame anime avec vigueur cette terre agricole de contraste.
Distiller, dans les règles de l'art, la promesse de cépages à fort caractère.
Moment crucial dans l’élaboration artisanale de l’Armagnac, la distillation - de type continue - fait chanter chaque alambic armagnacais. Impressionnante cathédrale de cuivre à l'instar de la cave coopérative de Panjas à Armadis ou bien petit chef d'oeuvre artisanal de cuivre pur, martelé ou laminé, l’alambic Armagnacais est un objet d'art en soi. Qu’il soit fixe ou itinérant, - selon les besoins et envies des viticulteurs comme chez Louis Sourdois - chacun tourne à plein régime dès la fin des vendanges en octobre, et ce jusqu'à la mi février comme le décret l'autorise. L'impératif dans la distillation - et c'est là la complexité - est de distiller frais, donc le plus tôt possible car le moût de raisin, non soufré, est trop fragile pour résister à l'oxygène. Ainsi, 24h sur 24, les distillateurs, alchimistes très patients, se relaient autour des chaudières, nourrissant la précieuse flamme de bois dont les essences principales sont l'aulne ou le chêne.
Des parfums subtils dévoilés par un art ancestral.
D'un fonctionnement particulier sans pour autant être strictement sacralisé, tout le secret d'un bon alambic et d'une bonne distillation repose avant tout sur la qualité de la matière première - issue de la veandange - et un savant équilibre de l'expérience humaine.
Dans les chais, à l'abris du froid hivernal, c'est un spectacle saisissant aux impressions garanties. La distillation transcende lentement le moût de raisin pour le transformer en eau-de-vie à l'état brut. De là, sort comme par magie, l'inimitable blanche distillée - devenue d'ailleurs AOC sous la dénomination "Blanche d'Armagnac" depuis 2004 -, pure, cristalline et translucide, au goût ardent et à la fougue impressionnante. En effet, son degré alcoolique oscille entre 52 et 60%. Palais sensibles, s'abstenir! Néanmoins très plaisante par ces subtils parfums, souvent dominés par l'exubérante Folle Blanche, nos distillateurs succombent à son charme et son mystère qu'elle révèle sous forme divinatoire: la Flamme de l'Armagnac. Vieille coutume ancrée au plus profond des âges de l'Armagnac, matérialisée par le feu sacré, la flamme ou le brûlot, selon le viticulteur Louis Sourdois "est à l'image des gascons: un vecteur de communication et de communion."
Une gamme à la fois traditionnelle et moderne pour tous les nez et palais.
Lorsque les alambics se taisent jusqu’à la prochaine distillation, la très jeune eau-de-vie va révéler le meilleur d’elle-même. Mise en barriques neuves d’une part, de 400 litres, ici appelées "pièces", puis en fûts plus anciens, elle et les parfums des cépages se marieront harmonieusement avec des notes vanillées. Précisons que la prise du bois est fondamentale pour l’apport rapide des tanins du chêne et de la coloration de l’eau-de-vie, prenant progressivement une teinte ambrée à caramel ; laquelle est très recherchée. Le tout est patiemment vieillie, goûtée, contrôlée, aérée, voire sélectionné pour les millésimes propres à vieillir plus longtemps en fûts ou Dame Jane. Trois étoiles, VSOP, XO, Hors d’âge ou les rarissimes millésimés, la gamme très large reflète un savoir-faire et une typicité qui n’ont pas leur pareil. Or, l’Armagnac est aussi un révélateur d’une problématique de taille, propre à la région : le stock, clé de voûte économique.
La crise serait-elle enfin dissipée ?
Malgré les aléas économiques de l’Armagnac, pour un produit distillé en moyenne à 10 415 HL par année, certains semblent considérer que la crise est bien derrière eux et confiants pour la survie de ce produit haut de gamme. Mettant en avant le caractère unique et luxueux de cette eau-de-vie, c’est avec sérénité que Sébastien Lacroix, directeur du Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac (BNIA), bien qu’encore conscient des périodes difficiles d’un passé proche, expose des perspectives heureuses pour les prochaines années. De nouvelles manières de consommer l'Armagnac s'offrent aux consommateurs et avec ce comportement, de nouveaux marchés s'ouvrent.
Au BNIA, QG de l’Armagnac, tout est mis en œuvre - sous la conduite de l’œnologue Marie-Claude Ségur - pour convaincre chaque amateur, d’une offre très large de styles et de qualité d’Armagnac. Qu’ils soient 3 étoiles, VSOP, XO, Hors d’âge, Millésimés, variant de la teinte orangée à l’ambre soutenu… chaque flacon doit refléter un savant dosage de boisé et de fruité parfumé; équilibre recherché qu’aucun passionné ne démentira.
Le passé et la tradition comme référent en abordant l’avenir avec un regard neuf.
On l’aura compris, le salut de l’Armagnac - élevé au rang d’eau-de-vie thérapeutique aux 40 vertus - passe par le maintien d’une qualité sans faille mais aussi par la diversification et la conquête de nouveaux marchés, donc d’une nouvelle cible de consommateurs. Très opposé à un usage restrictif et caricatural de la consommation des armagnacs comme digestifs de fin de repas, chaque producteur, soutenu par l’interprofession, s’engage à rajeunir la plus vieille eau-de-vie de France. La solution, un positionnement plus moderne en phase avec l'évolution de la consommation.
Finalement. A l’apéritif avec le jeune Armagnac servi frappé ou la blanche aux arômes floraux, à table sur des mets gascons, ou à toute heure de la journée… les occasions ne manquent pas de lui rendre hommage. En effet, selon l’humeur du consommateur, l’Armagnac trouvera une place de choix tantôt comme base de cocktail, mais aussi au repas comme compagnon sophistiqué des mets les plus relevés. Si vous voulez vous en convaincre, faites sans plus attendre une halte touristique au cœur de la Gascogne viticole et de son eau-de-vie éternelle ! Pour en savoir plus : L’armagnac, sa région, ses producteurs L'abus
d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération!
Crédits sujet:
Images/montage: Philippe SIMON
Interview/voix off : Frédéric LOT
Article : F.L
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